top of page

Le marin du mois

 

​René dans son Rio

La redac : Aviez-vous déjà l'intuition, à la barre de Marjanline, qu'il n'était que l'"ébauche" de ces trois autres bateaux ?

L'ébauche ? Non, pas du tout. Evidemment, chacun rêve d'un bateau un peu plus grand. Mais que de plaisirs, et d'émotions, avec Marjanline ! Le plaisir de faire marcher le bateau, d'arriver là où on a décidé d'aller, après l'émotion de cette approche dans la nuit. Il y a la gonio, les phares qu'il faut identifier et relever, mais tout ça ne vous situe pas à une centaine de mètres près, alors on y va à tâtons,       et puis c'est les feux d'entrée du port ; quand il y en a. Cette dernière remarque pour dire que je naviguais très peu en France.
Il y a eu le Loran, le Decca. Cela changeait beaucoup de choses. La route s'affichait clairement. Sauf quand, pour une raison quelconque, le Loran affichait n'importe quoi. C'était en arrivant à Djerba. Mer assez grosse, pas de fond, comme chacun sait près de la côté est de Tunisie, pas de feux, et mon amie d'alors qui pleurait, sa dernière heure étant arrivée. On a finalement trouvé le chenal d'entrée, pris tandis que la quille raclait le sable... De la chance d'être bien gité. Les femmes à bord : cela mériterait de longues digressions, que je ne ferai pas.
Mais il s'agissait de mon second bateau, 28 pieds. Immense, donc ! Acheté neuf, comme le premier. Je n'y connaissais rien, et je craignais d'ajouter les problèmes techniques à mon inexpérience.
Pas d'ébauche, pas d'intuition, donc. J'y allais peu à peu, me disant : je continue, tant que "ça" me plaît. Et "ça" me plaisait toujours plus. J'agrandissais mon espace de navigation. Grèce, Turquie, Tunisie... Mais il y avait aussi la question pécuniaire. J'avais la chance de travailler en indépendant, et de pouvoir concentrer mes efforts pour me "payer" trois ou quatre mois de vacances nautiques chaque année. Si je n'avais disposé que d'un mois, il aurait été évident qu'il eût été préférable de louer. Mais en considérant les coûts comparatifs (entre la revente et l'achat, versus la location), j'étais gagnant, et n'avais pas l'impression de jeter mon argent (durement gagné) par la fenêtre.
On était au début des années '90, et j'ai revendu mon "Sun Dream 28" à un sympathique médecin (petit tour dans Nice, sous spi). J'avais rencontré « mon » bateau, un Neptune 99 (architecte Tortarolo), aux mains d’une rencontre qui est devenu un bon copain, et qui m’a « tout » appris côté technique et maintenance. Sitôt, je me suis mis à la recherche d’un Neptune 99, il n’y en avait pas beaucoup, je l’ai trouvé en Bretagne, propriété d’un skipper qui visiblement croyait posséder un bateau « sans entretien ». Et en coproprité, en plus : source potentielle de conflits quant à ce qu’il convient d’investir dans ledit entretien. Qu’importe : l’idée était de le refaire à fond, avec l’aide et les conseils de mon copain toulonnais.
Ce Neptune, (re) baptisé « Passim », je l’ai gardé dix ans (et ai failli le perdre en Mer de Marmara). Comme avant, ça a été les grandes balades annuelles, souvent en solitaire, parfois avec les enfants,
qui ont connu papa navigateur tout petits, et plus grands, et qui ont supporté ses jurons quand les choses n’allaient pas bien, et appréciaient sans doute ses sourires béats quand les choses allaient bien.

La rédac : Alors Réné, on vous retrouve là, chez Tom... Et quand on regarde le paysage, quand on hume cette atmosphère typique des Tropiques en cette saison, ça semble un peu étrange de vous demander pourquoi vous êtes parti de France. Quel a été votre premier bateau ?

On va avoir l'impression que je passe mes journées au bistrot, devant des rhums coca ! Mais le soir, c'est la détente, après la journée passée au chantier. Des travaux interminables -le rythme guatémaltèque y est pour quelque chose. Bon, parlons de mon premier bateau. Rien d'original. Depuis des années, j'arpentais le Salon nautique, alors à la Défense. Je lisais des revues. Je rêvais devant les grosses unités, bien au-delà de mes moyens. Parisien, et sans aucun lien avec le monde nautique, je n'y connaissais strictement rien. Un beau jour, c'était en 81, en me baladant sur la Côte

d'Azur pour des besoins professionnels,

je tombe sur une annonce affichée au cul

d'un gros sloop baptisé "Phantom".

C'était un ancien Helisara du maestro

Karajan, donc pas une petite bête.

J'annonce mon incompétence, et on

m'embarque pour Dakar. Je n'y connaissais rien, mais je connaissais par coeur le bouquin des Glénans, alors j'ai pu tenir ma place à bord assez vite, d'autant plus que la balade, commencée avec dix équipiers, c'est terminée à trois, ce qui n'est pas trop vue la taille du monstre. Après cette première expérience, j'ai loué un petit sloop avec un skipper pour une balade en novembre, Corse, Sardaigne, Sicile, Italie et retour. En novembre ! On s'est ramassé du gros temps, le bateau se déglinguait de partout, on est revenu, à deux, en loques. Ah ! Jeunesse ! comme dit Conrad. L'année suivante, j'ai loué un petit voilier tout seul, comme un grand, et j'ai fait connaissance avec quelques cailloux. J'apprenais. Je me suis décidé à acheter mon premier bateau, un First 24, choisi en raison de sa largeur au gabarit routier, ce qui permettait de le tracter d'un endroit à un autre. C'était l'idée. Je ne l'ai jamais mis sur une remorque, mais j'ai fait de belles virées, pendant trois ans je crois. Il s'appelait Marjoline, et j'en garde un bon souvenir. Ensuite, il y en a eu trois autres, dont celui que je viens de laisser aux mains des obrejos qui viennent de lui repeindre une jolie bande bleue sur la coque, après un sablage complet.

​​

"On s'est ramassé du gros temps, â€‹
​le bateau se déglinguait de partout, on est revenu, à deux, en loques."​​​​​

La suite

bottom of page